Ésope, que l’on considère généralement comme Phrygien, aurait vécu au VIIe-VIe siècle av. J.C.
Cela nous vient du témoignage du grec Hérodote (v. 484 - v. 420 av. J.C.)...

Esope offrant des fruits à ses maîtres

Ésope aurait été un esclave, mais en réalité on ne sait pas grand chose de lui.
Selon la légende, il aurait été affranchi et aurait voyagé dans plusieurs continents.
Ésope, était dit-on, un être disgracieux et bègue, selon une terrible description faite de lui par Maximus Planude. Aurait été esclave de plusieurs maîtres successivement, il aurait voyagé en Afrique et en Orient après avoir été affranchi, puis envoyé dans diverses cités grecques comme émissaire de Crésus. Chargé ,par celui-ci, de porter des offrandes au temple de Delphes. Là, il dévoila les fraudes commises par les prêtres d’Apollon. Ceux-ci se vengèrent en l’accusant de vol d’ une coupe en or consacrée au Dieu.
Ésope fut jugé et condamné à être jeté du haut d’un précipice. Après la mort d’Ésope, le malheur, dit-on, s’abattit sur Delphes et ses habitants...

Vous pouvez aussi consulter les articles Quelques Fables d’Ésope... Tome I ou Quelques Fables d’Ésope... Tome III pour découvrir d’autres lectures, ou consulter Ésope vu par Jean de La Fontaine pour mieux appréhender ce personnage.

Du Porc-épic et du Loup

Un Loup rencontra un Porc-épic, et s’avança dans le dessein d’en apaiser la faim qui le pressait. Celui-ci, qui s’en aperçut, se hérissa d’abord de ses piquants. – Si vous vouliez vous défaire de toutes ces pointes, lui dit l’autre, bien fâché de ne savoir par où le prendre, vous n’en seriez que mieux, car elles vous défigurent extrêmement ; croyez-moi, ne les portez plus. – Les dieux m’en gardent, repartit le Porc-épic, en les dressant encore davantage. Ami, si ces piquants me parent mal, ils me défendent bien.

Du Coq et du Coq d’Inde

Le Coq est jaloux de son naturel. Celui-ci remarqua qu’un Coq d’Inde, qui vivait avec lui dans la même basse-cour, faisait la roue en présence de ses Poules, et en prit ombrage. – Traître, lui disait-il, ce n’est pas sans dessein que tu fais montre de tes plumes. Tu cherches sans doute à plaire à mes femmes, et par conséquent à me les débaucher. – Moi, repartit l’autre, c’est à quoi je n’ai jamais pensé, et tu t’alarmes bien mal-à-propos. Eh quoi ! ne saurais-tu souffrir que je fasse la roue devant tes femmes, quand je souffre, moi, que tu viennes chanter tout autant qu’il te plaît devant les miennes.

De la Poule et de ses Poussins

Une Poule mena ses Poussins aux champs, et s’écarta fort loin de sa basse-cour. Pendant qu’elle ne pensait à rien moins qu’au Milan, celui-ci parut prêt à fondre sur sa couvée. Tout ce qu’elle put faire alors pour la sauver, ce fut de fuir et de se sauver dans une ferme, d’où elle se trouvait fort proche, et de s’enfermer avec ses Poussins dans une cage qu’elle y trouva. Le fermier, qui s’en aperçut, accourut, et prit ainsi d’un seul coup la mère et ses petits ; mais celle-ci s’en consola, parce que du moins elle avait, disait-elle, mis ses Poussins à couvert des serres de leur plus cruel ennemi.

Du Singe et du Perroquet

Un jour le Singe et le Perroquet pensèrent se donner pour Animaux raisonnables, et se mirent en tête de se faire passer pour tels. Le premier crut qu’on le prendrait pour un homme, dès qu’il en aurait pris les habits. L’autre s’imagina qu’il le ferait aussi, s’il pouvait contrefaire la voix humaine. Le Singe donc s’habilla ; le Perroquet apprit quelques mots, après quoi l’un et l’autre sortirent de leurs bois et vinrent se produire à certaine foire. Lorsqu’ils parurent, chacun y fut trompé : mais comme le Singe ne disait rien, et que le Perroquet ne disait jamais que la même chose, on sortit bientôt d’erreur. Ainsi ceux qui les avaient pris d’abord pour de vrais hommes, ne les prirent, un quart d’heure après, que pour ce qu’ils étaient.

Du Loup, du Renard et du Singe

Le Loup et le Renard plaidaient l’un contre l’autre pardevant le Singe. Le premier accusait l’autre de lui avoir dérobé quelques provisions, celui-ci niait le fait. Le Singe, qui connaissait de quoi l’un et l’autre étaient capables, ne savait lequel croire ; ainsi il se trouvait dans un grand embarras. Voici pourtant comme il s’en tira : après bien des contestations de part et d’autre, il imposa silence aux parties, et prononça ainsi : – Toi, Loup, je te condamne à payer l’amende, parce que tu demandes au Renard ce qu’il ne t’a point pris ; et toi, Renard, tu paieras aussi, parce que tu refuses de rendre au Loup ce que tu lui as dérobé.

Du Milan et du Rossignol

Un Milan fort affamé tenait un Rossignol sous ses serres. – Milan s’écriait celui-ci, donnez-moi la vie, et je vous ferai entendre des chansons capables de vous ravir. Ma voix, vous le savez, enchanterait les dieux mêmes. – J’en doute si peu, répliqua le Milan, que je t’écouterais de grand cœur, si je ne sentais qu’à présent j’ai beaucoup plus besoin de nourriture que de musique. – Cela dit, il le croque.

Des Rats tenant conseil

Les Rats tenaient conseil, et ils délibéraient sur ce qu’ils avaient à faire pour se garantir de la griffe du Chat, qui avait déjà croqué plus des deux tiers de leur peuple. Comme chacun opinait à son tour, un des plus habiles se leva. – Je serais d’avis, dit-il d’un ton grave, qu’on attachât quelque grelot au cou de cette méchante bête. Elle ne pourra venir à nous sans que le grelot nous avertisse d’assez loin de son approche ; et comme en ce cas nous aurons tout le temps de fuir, vous concevez bien qu’il nous sera fort aisé de nous mettre, par ce moyen, à couvert de toute surprise de sa part. – Et toute l’assemblée applaudit aussitôt à la bonté de l’expédient. La difficulté fut de trouver un Rat qui voulût se hasarder à attacher le grelot : chacun s’en défendit ; l’un avait la patte blessée, l’autre la vue courte. – Je ne suis pas assez fort, – disait l’un. – Je ne sais pas bien comment m’y prendre –, disait l’autre. Tous alléguèrent diverses excuses, et si bonnes, qu’on se sépara sans rien conclure.

De l’Aigle et de l’Escarbot

L’Aigle enlevait un Lapin, sans se mettre en peine des cris d’un Escarbot. Celui-ci intercédait pour son voisin, et suppliait l’oiseau de donner la vie au Lapin ; mais l’Aigle, sans avoir égard aux prières du bestion, mit l’autre en pièces. Elle ne tarda guère à s’en repentir ; car, quelques jours après, voici que l’Escarbot, qui avait pris le temps que l’Aigle s’était écartée de son nid, y vole, culbute tous les œufs, fracasse les uns, fait faire le saut aux autres, et par la destruction entière du nid, venge la mort de son ami.

Du Souriceau et de sa Mère

Un Souriceau racontait à sa mère tout ce qui lui était arrivé dans un voyage dont il était de retour. – Un jour, lui disait-il, la curiosité me prit d’entrer dans une basse-cour, et là j’y trouvai un animal qui m’était inconnu, mais dont le minois me plut infiniment. L’air doux, la contenance modeste, le regard gracieux ; au reste, la peau marquetée, longue queue, et faite à peu près comme la nôtre ; voilà ce qui le rendait tout à fait plaisant à voir. Pour moi j’en fus si charmé, que déjà je l’abordais pour faire connaissance avec lui, lorsque certain oiseau farouche, turbulent, et qui portait sur sa tête je ne sais quel morceau de chair tout déchiqueté, m’effraya tellement par ses cris perçants, que j’en pris la fuite d’épouvante. – Mon fils, lui dit la mère, remercie les Dieux qui t’ont sauvé dans cette rencontre du plus grand danger que tu puisses jamais courir. L’Animal qui t’a semblé si doux, c’est un Chat ; l’oiseau turbulent, c’est un Coq. Ce dernier ne nous veut aucun mal mais l’autre ne pense qu’à nous détruire. Reconnais donc maintenant quelle était ton imprudence, de courir te livrer toi-même à ton plus cruel ennemi.

Du Loup et du Chien maigre

Un jour, un Loup rencontra un Chien d’assez bonne taille, mais si maigre, qu’il n’avait que les os et la peau. Comme il allait le mettre en pièces : – Eh ! Seigneur, lui dit le Chien, qu’allez-vous faire ? ne voyez-vous pas bien que je suis présentement dans un tel état, que je ne vaux pas un coup de dent ? Mais, croyez-moi, souffrez que je retourne au logis ; j’aurai soin, je vous jure, de m’y bien nourrir, et s’il vous prend envie d’y venir dans quelque temps, vous m’y trouverez si gras, que vous ne vous repentirez point d’avoir perdu un méchant repas pour en faire un incomparablement meilleur. – Le Loup le crut et le lâcha. Quelques jours après, il court au logis du Chien, l’aperçoit au travers des barreaux de la porte, et le presse de sortir pour lui tenir parole. – Vous reviendrez demain, s’il vous plaît, lui dit le Chien ; car pour aujourd’hui, outre que je ne crois pas avoir encore atteint le degré d’embonpoint qui vous convient, je ne me sens pas fort d’humeur à vous contenter. – L’autre entendit à demi-mot. Il baissa l’oreille, et rebroussant chemin, jura qu’il ne laisserait jamais échapper ce qu’il tiendrait.

De l’Assassin qui se noie

Le Prévôt poursuivait un Assassin. Celui-ci fuyait, et de telle vitesse, que l’autre ne put l’atteindre, et se retira. Alors le scélérat s’imagina qu’il n’avait plus rien à craindre, et crut que son crime demeurerait impuni ; mais le ciel se garda bien de le permettre. Pendant que ce malheureux croit traverser un ruisseau où il était entré sans en connaître la profondeur, il y perd pied, et s’y noie.

Des Bœufs et de l’Essieu

Deux Bœufs attelés à un chariot fort chargé, ne le tiraient qu’avec peine. Cependant l’Essieu criait, et de telle sorte, que les Bœufs, étourdis du bruit qu’il faisait, s’arrêtèrent et se retournèrent vers lui. – Importun, lui dirent-ils, eh ! qu’as-tu donc tant à crier, toi qui ne fatigues presque point, tandis que nous ne nous plaignons seulement pas, nous qui suons à tirer tout le fardeau ?

Du Coq et du Renard

Un Coq se tenait sur un chêne fort élevé. Un Renard, qui ne pouvait l’y atteindre, courut au pied de l’arbre : – Ami, cria-t-il à l’autre, bonne nouvelle ! Hier, la paix fut signée entre les tiens et les nôtres. Sans rancune donc, je te prie ; et puisque dorénavant nous devons tous nous entr’aimer comme frères, commençons par nous réconcilier. Viens donc, mon cher, descends que je t’embrasse. – Ami, repartit le Coq, tu ne saurais croire combien cette nouvelle me réjouit. Je la crois certaine, car, si je ne me trompe, je vois là-bas deux courriers qui viennent nous en apporter la nouvelle. Demeure donc, je te prie ; et sitôt qu’ils seront arrivés, je descendrai pour nous en réjouir tous quatre ensemble. – Ces courriers étaient deux Lévriers. Le Renard ne jugea pas à propos de les attendre, et gagna pays ; et le Coq se mit à rire à gorge déployée.

De la Rose et des Fleurs

Les Fleurs contemplaient la Rose, et trouvaient dans ses nuances un éclat si vif qu’elles lui cédaient, presque sans envie, le prix de la beauté. – Non, lui disaient-elles toutes d’une voix, notre coloris n’est ni si rare ni si beau. Nous n’exhalons point une odeur si douce. Triomphez, belle Rose : vous méritez seule les caresses des zéphyrs. – Fleurs, dit la Rose en soupirant, lorsqu’un seul jour me voit naître et mourir, que me sert d’être si belle ? Hélas ! je voudrais l’être moins et durer, comme vous, davantage.

Du Cygne et de la Grue

Le Cygne, à l’extrémité, chantait. – Je ne vois pas, lui disait la Grue, quel sujet vous avez de vous réjouir dans l’état où vous êtes. – Je sens que je vais mourir, répliqua le Cygne. Ai-je tort de marquer de la joie, quand je me vois sur le point d’être délivré de tous mes maux ?

De la Canne et du Barbet

Un Barbet poursuivait une Canne. Celle-ci, pour se sauver, se jette dans un étang. L’autre s’y lance, et nage après elle. Comme il la suit, et de si près, qu’il ouvre déjà la gueule pour la prendre, la Canne fait le plongeon, s’enfonce et disparaît. Ainsi le Chien perdit sa proie dans le moment même qu’il croyait la tenir.

De l’Homme décoiffé

Un Homme chauve se vit obligé de couvrir sa tête de cheveux empruntés. Un jour, comme il dansait en bonne compagnie, il donna en sautant, un tel branle à son corps, que sa fausse chevelure en tomba par terre. Chacun se mit à rire. – Messieurs, dit le Danseur, dans le dessein de faire cesser la risée par quelque bon mot, vous ne devez pas être surpris que ces cheveux n’aient pu tenir sur la tête d’autrui, lorsqu’ils n’ont pu rester sur la leur propre.

Des Voyageurs et du Plane

Vers le milieu d’un des plus chauds jours de la canicule, deux Voyageurs prenaient le frais à l’ombre d’un Plane. Ils s’y étaient retirés pour se mettre à l’abri du soleil. Comme ils en considéraient les branches sans y apercevoir de fruit : – Voilà, se disaient-ils l’un à l’autre, un méchant Arbre ; s’il m’appartenait, puisqu’il n’est bon à rien, je le ferais abattre et jeter au feu tout présentement. – Ingrats, leur dit l’Arbre, n’est-ce donc rien que cet ombre que mon feuillage produit, et qui vous garantit si à propos des rayons que vous fuyez ?

Du Vieillard et de la Mort

Un jour un Vieillard, portant du bois qu’il avait coupé, faisait une longue route. Succombant à la fatigue, il déposa quelque part son fardeau, et il appela la Mort. La Mort arriva et lui demanda pourquoi il l’appelait. Alors le Vieillard épouvanté lui dit : – Pour que tu soulèves mon fardeau. – Cette fable montre que tout Homme aime la vie, même s’il est malheureux et pauvre.

Du Crocodile et du Renard

Le Crocodile méprisait le Renard, et ne lui parlait que de sa noble extraction. – Faquin, lui disait-il d’un ton arrogant, je te trouve bien hardi d’oser te faufiler avec moi. Sais-tu bien qui je suis ? sais-tu que ma noblesse est presque aussi ancienne que le monde ? – Et comment pourrez-vous me prouver cela ? répliqua l’autre fort surpris. – Très-aisément, reprit le Crocodile. Apprends que dans la guerre des géants, quelques-uns d’entre les dieux prirent la fuite, et vinrent, transformés en Crocodiles, se cacher au fond du Nil. C’est de ceux-là dont je descends en droite ligne. Mais toi, misérable, d’où viens-tu ? En vérité, repartit le Renard, c’est ce que je ne sais point, et ce que je n’ai jamais su. Croyez, Seigneur Crocodile, que je suis beaucoup plus en peine de savoir où je vais, que d’apprendre d’où je viens.

Du voeu d’un Malade

Un Laboureur dangereusement malade, voua cent Bœufs à Esculape. Il les lui devait immoler, bien entendu, lorsqu’il serait guéri. – Cent Bœufs ! s’écria sa femme, vous n’y pensez pas mon fils ; eh ! grand dieu, où les prendre, quand je n’en vois pas un seul dans notre étable ? – Taisez-vous, lui répondit le malade ; si j’en reviens, il faudra bien que le bon Esculape se contente, s’il lui plaît, de notre Veau.

Des Pêcheurs

Des Pêcheurs tiraient leurs filets hors de l’eau : comme ils les sentaient plus pesants que de coutume, ils en concevaient bonne espérance. La pêche, se disaient-ils les uns aux autres, sera sans doute des meilleures ; et Dieu sait quels poissons nous allons voir dans nos rets. Leur joie fut courte, car lorsqu’après beaucoup de fatigue, ils eurent vu le fond de leurs filets, ils n’y trouvèrent qu’un gros caillou, que le courant de la rivière y avait amené.

Des Grenouilles

Les Grenouilles virent dans le fort de l’été leurs marais à sec. – Où nous retirerons-nous ? s’écrièrent-elles alors. – Dans ce puits que vous voyez tout proche de vous, dit une des plus jeunes. – L’eau l’emplit jusqu’à deux doigts du bord ; ainsi, il nous sera très-aisé d’y entrer. – Fort bien, répliqua une des plus vieilles ; mais quand l’eau viendra à baisser, et que nous nous trouverons au fond de ce puits, à vingt pieds au moins de son ouverture, en sortirions-nous aussi aisément que nous y serons entrées ?

Des deux Ennemis

Deux Hommes, qui se haïssaient mortellement, s’étaient embarqués sur le même vaisseau. Comme il cinglait à pleines voiles, une tempête s’éleva, et si grande, que le navire, battu des vents et fracassé par les vagues, s’entrouvrit. Dans cette extrémité, les deux passagers que l’eau commençait à gagner, se consolaient, quoiqu’ils se vissent sur le point d’être submergés. – Si je péris, disaient-ils l’un et l’autre au fond du cœur, mon ennemi périt aussi.

Du Lion, de l’Ours et du Renard

Le Lion et l’Ours s’entre-déchiraient, et cela pour quelques rayons de miel qu’ils avaient trouvés dans le creux d’un chêne. Chacun d’eux prétendait en faire son profit, sans le partager avec son compagnon. Ils eussent beaucoup mieux fait d’en faire deux parts ; car tandis qu’ils s’acharnent l’un sur l’autre, un Renard se glisse sans bruit près du miel, le lape et se sauve.

De l’Astrologue

Un Astrologue contemplait les astres en marchant : il eût beaucoup mieux fait de regarder à ses pieds ; car tandis qu’il lève les yeux et les tient toujours fixés vers le ciel, voici que sans voir un puits qu’on avait creusé sur son chemin, il en approche, et de si près, qu’il s’y précipite et s’y noie.

Du Dauphin et du Thon

Un Dauphin poursuivait un Thon, dans le dessein de se venger de quelque offense qu’il en avait reçue. Ce dernier gagne le rivage, l’autre l’y suit. Et le Thon, pour échapper, sauta sur le sable, et le Dauphin s’y lança avec lui. Mais voici que froissés de leur chute, ils y demeurèrent tous deux étendus. Cependant l’air de la terre agit sur eux. Ils s’affaiblissent hors de leur élément, et meurent, non sans s’être repentis de n’avoir consulté que leur ressentiment.

Du Fossoyeur et du Médecin

Un Fossoyeur enterrait son Voisin. Comme il achevait de combler la fosse, il aperçut le Médecin qui avait traité le défunt pendant sa maladie. – Je vous croyais si habile, lui dit-il, que je m’étais imaginé que vous tireriez votre malade d’affaire. – J’ai fait tout ce que j’ai pu pour cela, répliqua le docteur ; mais cet Homme était malsain. – Et s’il ne l’avait pas été, repartit le Fossoyeur en secouant la tête, aurait-il eu besoin de vous ?

De l’Oiseleur et de la Vipère

Un Oiseleur cherchait à prendre des Oiseaux. Comme il se baissait pour tendre ses réseaux, une Vipère le piqua au pied. – Ah ! s’écria l’Homme, je n’ai que ce que je mérite. Pourrais-je être surpris qu’on m’ôte la vie, tandis que je ne pense, moi, qu’à la ravir aux autres ?

De l’Âne qui change de Maître

L’Âne d’un Jardinier se lassa de se lever avant le point du jour pour porter des herbes au marché. Un jour il pria Jupiter de lui donner un Maître chez qui il pût, disait-il, au moins dormir. – Soit, dit le Maître des dieux – : et cela dit, voilà le Baudet chez un Charbonnier. Il n’y eut pas resté deux jours qu’il regretta le Jardinier. – Encore, disait-il, chez lui j’attrapais de temps en temps à la dérobée quelques feuilles de chou ; mais ici que peut-on gagner à porter du charbon ? des coups, et rien davantage. – Il fallut donc lui chercher une autre condition. Jupiter le fit entrer chez un Corroyeur, et le Baudet, qui n’y pouvait souffrir la puanteur des peaux dont on le chargeait, criait plus fort que jamais, et demanda pour la troisième fois un autre Maître. Alors le dieu lui dit : – Si tu avais été sage, tu serais resté chez le premier. Quand je t’en donnerais un nouveau, tu n’en serais pas plus content que des autres. Ainsi, reste où tu es, de peur que tu ne trouves encore ailleurs plus de sujet de te plaindre.

Du Lion et de la Grenouille

Un Lion se coucha sur les bords d’un marais, et s’y assoupit. Comme il y dormait d’un sommeil profond, une Grenouille se mit à croasser ; à ce bruit, l’autre s’éveille ; et comme il croit que quelque puissant Animal vient l’attaquer, il se lève, et regarde de tous côtés. Mais quel est son étonnement, lorsqu’il aperçoit celle qui l’avait si fort épouvanté ?

Du Maure

Un Homme se mit en tête de blanchir un Maure ; il le baignait, lavait et frottait : mais ce fut temps perdu. Le Maure bien décrassé parut encore plus noir qu’il n’était auparavant.

Du Marchand et de la Mer

Un Marchand chargea un vaisseau de marchandise, et partit pour les Indes. Lorsqu’il mit à la voile, le vent était favorable et la Mer tranquille : mais à peine eut-il perdu le port de vue, que le vent changea tout-à-coup ; la Mer éleva ses vagues, poussa le navire sur un banc de sable et l’y fit échouer. Le Marchand vit périr toutes ses marchandises, et ne se sauva qu’avec peine sur quelques débris du vaisseau. Quelques jours après, comme il se promenait sur le rivage où il avait abordé, il vit la Mer calme, et qui semblait lui dire de se rembarquer de nouveau. – Perfide Mer, s’écria-t-il, c’est en vain que par une feinte tranquillité tu cherches à m’attirer. S’y fie qui voudra ; quant à moi, je n’ai point encore oublié de quelle manière tu m’as traité ces jours passés, je ne suis pas d’humeur à me fier une seconde fois à qui vient de me donner des preuves de son infidélité.

Des deux Coqs et du Faucon

Deux Coqs se battirent à outrance, et cela pour l’amour d’une Poule qui les avait rendus rivaux. Le vaincu prit la fuite, et se retira dans un coin de la basse-cour, pendant que le vainqueur montait sur le haut du poulailler, pour y chanter sa victoire. Celui-ci ne s’en réjouit pas longtemps ; car tandis qu’en battant des ailes, il ne pensait qu’à y faire éclater sa joie, le Faucon, qui l’avait aisément découvert sur le haut de ce toit, vint fondre sur lui et le mit en pièces.

Du Castor et des Chasseurs

Des Chasseurs poursuivaient un Castor ; dans le dessein de tirer profit de certaine partie de son corps. Ils avaient coutume d’en employer la chair comme un remède souverain contre plusieurs maux. Le Castor, qui savait leur intention, n’eut pas plutôt reconnu qu’il ne pouvait leur échapper, qu’il la prit à belles dents, et se la retrancha. Alors les Chasseurs, satisfaits d’avoir ce qu’ils cherchaient, cessèrent de le poursuivre, et se retirèrent. Ainsi le Castor, qui fort sagement jugea à propos de se défaire d’une partie qu’il ne pouvait conserver sans perdre le tout, se sauva par son jugement.

Du Berger et du Chien

Un Berger avait donné plusieurs fois à son Chien les Brebis qui mouraient chez lui de maladie. Un jour, une des plus grasses de son troupeau tomba malade ; alors le Chien parut plus triste que de coutume. Le Berger lui en demanda la cause ; sur quoi l’autre lui répondit qu’il ne pouvait, sans s’affliger, voir la meilleure Brebis du troupeau en danger de périr. – Tu me portes bien la mine, lui repart l’Homme, de penser beaucoup plus à ton intérêt qu’au mien. Tu as beau dissimuler, va, je suis bien persuadé que tu ne t’attristes de la maladie de ma Brebis, que parce que tu crains qu’en réchappant, elle ne t’échappe.

De l’Avare et du Passant

Un Avare enfouit son trésor dans un champ ; mais il ne put le faire si secrètement qu’un Voisin ne s’en aperçût. Le premier retiré, l’autre accourt, déterre l’or et l’emporte. Le lendemain l’Avare revient rendre visite à son trésor. Quelle fut sa douleur lorsqu’il n’en trouva que le gîte ! Un dieu même ne l’exprimerait pas. Le voilà qui crie, pleure, s’arrache les cheveux, en un mot se désespère. À ses cris, un Passant accourt. – Qu’avez-vous perdu, lui dit celui-ci, pour vous désoler de la sorte ? – Ce qui m’était mille fois plus cher que la vie, s’écria l’Avare : mon trésor que j’avais enterré près de cette pierre. – Sans vous donner la peine de le porter si loin, reprit l’autre, que ne le gardiez-vous chez vous : vous auriez pu en tirer à toute heure, et plus commodément l’or dont vous auriez eu besoin. – En tirer mon or ! s’écria l’Avare : ô ciel ! je n’étais pas si fou. Hélas ! je n’y touchais jamais. – Si vous n’y touchiez point, répliqua le Passant, pourquoi vous tant affliger ? Eh, mon ami, mettez une pierre à la place du trésor, elle vous y servira tout autant.

Du Cerf et du Faon

Le Faon soutenait à son Père que la nature lui avait donné de si grands avantages sur le Chien, qu’il n’avait aucun lieu de le craindre. – Si jamais, disait-il au Cerf, nous en venons aux prises le Chien et moi, comptez que je n’aurai pas de peine à le battre, car, outre que je suis plus haut, et par conséquent plus fort que lui, je vois ma tête armée d’un bois que la sienne n’a point. – Mon fils, repartit l’autre, donnez-vous bien de garde de l’attaquer, la partie ne serait pas égale. Si les dieux lui ont refusé le bois qu’ils vous ont donné, ils lui ont fait présent d’un cœur que vous n’avez point.

Du Renard et du Sanglier

Un Sanglier aiguisait ses défenses contre le tronc d’un arbre. – À quoi bon, lui dit un Renard, te préparer au combat, quand tu ne vois ni Chien ni Chasseur ? – Hé, dois-je attendre, répliqua l’autre, que je les aie en queue, pour songer à tenir mes armes en état, quand ils ne me donneront pas le temps d’y penser ?

Du Savetier Médecin

Un Savetier des plus ignorants dans son métier, trouva si peu son compte au profit qui lui en revenait, qu’il lui prit fantaisie d’en changer. Un jour il se mit en tête d’être Médecin, et le fut, au moins ou le crut tel. Quelques termes de l’art qu’il apprit, son effronterie et son babil, joints à l’ignorance de ses Voisins, eurent bientôt fait d’un artisan très-maladroit un fort habile Charlatan. Il publia partout que la vertu de ses remèdes était infaillible, et chacun le crut sur sa parole. Un de ses Voisins, pourtant moins dupe que les autres, s’en moqua ; voici comment. Il se dit attaqué d’un mal de tête, et mande le docteur. Celui-ci vient, et raisonne fort au long sur le prétendu mal ; ensuite il assure le malade qu’il l’en délivrera, et en peu de temps, pourvu qu’il veuille s’abandonner à ses soins. – Pauvre ignorant, repartit le Voisin, en éclatant de rire, et comment pourrai-je me résoudre à te livrer ma tête, quand je ne voudrais pas seulement te confier mes pieds ?

De la Chauve-Souris et de la Belette

Une Chauve-Souris étant tombée à terre fut prise par une Belette, et, sur le point d’être mise à mort, elle la suppliait de l’épargner. La Belette répondit qu’elle ne pouvait la relâcher, étant de sa nature ennemie de tous les volatiles. L’autre affirma qu’elle était non pas un Oiseau, mais une Souris et fut ainsi remise en liberté. Plus tard elle tomba une seconde fois et fut prise par une autre Belette. Elle lui demanda de ne pas la dévorer, et comme la Belette lui répondait qu’elle était l’ennemie de tous les Rats, elle affirma qu’elle n’était pas un Rat, mais une Chauve-Souris et elle fut une deuxième fois relâchée. Voilà comment en changeant deux fois de nom elle assura son salut. Cette fable montre que nous non plus nous ne devons pas nous tenir aux mêmes moyens, attendu que ceux qui se transforment selon les circonstances échappent souvent au danger.

Du Trompette

Un Trompette, après avoir sonné la charge, fut pris par les Ennemis. Comme un d’entre eux levait le bras pour le percer de son épée : – Quartier, s’écria le prisonnier. Considérez que je ne me suis servi que de ma trompette, et qu’ainsi je n’ai pu ni tuer ni blesser aucun des vôtres. – Tu n’en mérites pas moins la mort, répliqua l’autre en lui plongeant l’épée dans le ventre, méchant qui ne tue jamais, il est vrai, mais qui excite les autres à s’entre-tuer.

Du Laboureur et de ses Chiens

Un Laboureur détela les Bœufs de sa charrue dans un temps de famine, les tua, dans la vue de s’en nourrir, lui et sa famille. Ses Chiens qui s’en aperçurent, sortirent aussitôt du logis, et gagnèrent pays. – Sauvons-nous, se disaient-ils les uns aux autres. Si cet Homme tue des Animaux, dont il a si grand besoin pour son labourage, que ne nous fera-t-il point à nous, qui ne lui sommes pas à beaucoup près si nécessaires !

De l’Âne et du Lion chassant

L’Homme sans mérite qui vante sa gloire en paroles trompe ceux qui ne le connaissent pas, est la risée de ceux qui le connaissent. Le Lion, voulant chasser en compagnie de l’Âne, le couvrit de ramée et lui recommanda d’épouvanter les Animaux du son inaccoutumé de sa voix afin de les arrêter au passage. Celui-ci dresse de toutes ses forces ses oreilles avec une clameur soudaine et terrifie les bêtes de ce prodige d’un nouveau genre. Tandis qu’épouvantées elles gagnent leurs issues habituelles, le Lion les terrasse d’un élan terrible. Quand il fut las de carnage, il appela l’Âne, lui dit d’étouffer ses cris. Alors l’autre, insolemment : – Comment trouves-tu cet effet de ma voix ? – Merveilleux, dit le Lion, au point que, si je n’avais connu ton caractère et ta race, j’aurais été pris de la même erreur.

De la Vieille et de sa Servante

Une Vieille n’avait pas plutôt entendu le chant de son Coq, que tous les matins, elle allait une heure avant le point du jour réveiller sa Servante. Alors il fallait se lever pour prendre ensuite une quenouille, qu’on ne quittait que longtemps après le coucher du soleil. Celle-ci, qui séchait de fatigue et d’insomnie, prit un jour le Coq et le tua, dans la pensée qu’elle dormirait tout à son aise, sitôt que sa maîtresse aurait perdu son réveille-matin. Mais tout le contraire arriva. Le Coq mort, la Vieille, qui n’entendait plus ce chant qui la réglât, était toute la nuit sur pied et courait éveiller sa Servante, lorsqu’à peine celle-ci avait eu le temps de se coucher.

De l’Âne et du Cheval

Un Cheval couvert d’une riche housse, allait trouver son Maître à la guerre. Un Âne le vit passer ; alors il ne peut s’empêcher de soupirer, et d’envier le bonheur de l’autre. Suis-moi, lui dit le Cheval qui s’en était aperçu, et tu partageras la gloire dont je vais me couvrir. Le Baudet ne se le fit pas dire deux fois et le suivit. Il arrive au camp ; et d’abord soldats, armes, pavillons, le bruit des tambours, le font tressaillir d’aise. Mais quelques jours après, lorsqu’il vit le Cheval obligé de porter son Maître dans la mêlée, au risque de mille coups, il sentit diminuer sa joie, et pensa à ce qu’il avait quitté. Un moment après il baissa les oreilles, et tourna le dos. Puis, malgré tout ce que l’autre put lui dire pour l’engager à rester, il courut au grand trot reprendre le chemin du moulin.

Du Paon et de la Pie

Un jour les Oiseaux s’assemblèrent à dessein de nommer entr’eux un roi, qui fût capable de les gouverner. Chaque Oiseau, pour se concilier les suffrages de l’assemblée, fit valoir tout autant qu’il le put les avantages qu’il avait reçus de la nature. L’Aigle parla de sa force, le Coq de son courage, le Perroquet de sa mémoire, et la Pie de son esprit. Mais ce fut en vain que les uns et les autres vantèrent à la diète leurs bonnes qualités. On n’y fit pas la moindre attention ; au contraire, le récit qu’ils en firent ennuya. Là-dessus le Paon vint à son tour étaler sa belle queue. Dès qu’il parut, les Oiseaux, charmés de la bigarrure de son plumage, lui donnèrent leurs voix ; de sorte que sans vouloir écouter les remontrances de la Pie, qui soutenait que ce Paon n’avait point d’autre mérite que celui de sa queue, ils lui rendirent hommage, et sur le champ le proclamèrent roi.

Du Dauphin qui porte un Singe

Un Dauphin côtoyait de fort près en nageant le rivage de la mer. – Bon, dit un Singe qui l’aperçut, voici un moyen pour voir la pleine mer tout à mon aise. Je ne l’ai jamais vue, et ainsi il faut que je me contente. – Cela dit, il s’approche du rivage, ensuite il s’élance, et retombe sur le dos du poisson. Celui-ci qui aime l’Homme, crut qu’il en portait un, et mena le Singe assez loin. Là-dessus, ce dernier, charmé de voguer sur l’Océan, jette un cri de joie. À ce cri, l’autre lève la tête, envisage le Singe, et le reconnaît. Le Dauphin fit sauter sa charge en l’air d’un coup de sa queue, et se replonge aussitôt au fond de la mer.

Du Berger et du Louveteau

Un Berger trouva un Louveteau que la Louve avait abandonné ; il le prit et l’emporta dans sa cabane ; là, il le nourrit, et l’éleva parmi les Chiens qui gardaient son troupeau. Il aurait beaucoup mieux fait de l’assommer, car le Louveteau, qui d’abord n’avait fait aucun mal tant qu’il s’était senti faible, ne fut pas plutôt Loup, qu’après avoir étranglé les Chiens, pendant que le Berger dormait, il courut se jeter sur les Brebis, et les mit toutes en pièces.

Du Serpent conduit par sa queue

Un jour le Serpent vit sa queue s’élever contre sa tête. –Quel orgueil ! disait la première à l’autre, de s’imaginer, comme vous faites, que je ne pourrais pas vous mener aussi bien que vous me menez ; comme si mon jugement était fort inférieur au vôtre ? Il y a assez de temps, ce me semble, que je vous suis, suivez-moi maintenant à votre tour, et vous verrez si tout n’en ira pas beaucoup mieux. – Cela dit, elle tire la tête et rebrousse chemin, heurte tout ce qui se trouve sur son passage ; ici se froisse contre une pierre ; là trouve des ronces qui la déchirent ; puis un peu plus loin va se jeter dans un trou. Elle n’eut pas fait vingt pas, que tout le Serpent fut en très-mauvais état. Alors elle se laissa gouverner, et convint, en suivant la tête comme à l’ordinaire, que tout était bien mieux conduit par elle que par la queue.

De Jupiter, d’Apollon et de Momus

Prêtez-moi pour un moment votre arc, dit un jour Jupiter à Apollon, je veux vous montrer que j’en sais tirer, et même plus juste que vous. Voyez-vous ce chêne planté sur la cime de l’Olympe ? je veux que la flèche que je vais décocher aille droit au milieu du tronc de l’arbre. Cela fait, vous tâcherez d’en faire autant, et qu’après cela Momus nomme le plus adroit de nous deux. Disant cela, il prend l’arc d’Apollon, et le bande. Le trait part. Mais au lieu d’aller droit, il s’écarte, rase le visage du juge, et va se briser contre des rochers, à cent pas à côté du but. Maître des dieux, dit Momus en se levant tout effrayé du danger qu’il venait de courir, j’ignore si les coups d’Apollon sont plus justes, mais ce que je sais de certain, c’est qu’ils ne m’ont jamais donné la peur que le vôtre vient de me causer. Ainsi, croyezmoi, reprenez votre foudre, et vous, seigneur Apollon, votre arc, et tout n’en sera que mieux. Cela dit, sans vouloir ni s’expliquer davantage, ni prendre garde au coup de l’autre, il se retira, et de cette manière laissa, par ménagement pour Jupiter, la gageure indécise.

Du Bœuf et de la Vache

Un Bœuf suait à tirer la charrue sur un terrain fort pierreux. Une Vache en riait. – Pauvre malheureux, lui criait-elle, je ne doute point que tu n’envies cent fois le jour mon sort. Avoue que tu voudrais te voir nourri et chéri comme je le suis sans essuyer la moindre fatigue. – Comme elle parlait, un sacrificateur arrive, et lui fait prendre le chemin du temple pour la conduire à l’autel, et là l’immoler à son dieu. – Orgueilleuse, lui dit alors le Bœuf, ton sort te semble-t-il maintenant si digne d’envie ? il est vrai que je viens de souhaiter d’être à ta place ; mais confesse à ton tour, que tu voudrais bien te voir à présent à la mienne.

Du Renard qui a perdu sa queue

Un Renard tomba dans un piège, et s’en retira, mais ce ne fut qu’après y avoir laissé sa queue pour gage. Il en était au désespoir ; car le moyen de se montrer aux autres ainsi écourté, sans exciter leurs risées ? Pour s’en garantir, que fait-il ? Il se met en tête d’avoir des compagnons ; ensuite il assemble les Renards, leur conseille en ami, disait-il, de se défaire de leurs queues ; elles embarrassaient beaucoup plus qu’elles n’ornaient ; ce n’était qu’un poids fort superflu. En un mot, une queue ne servait, à l’entendre, qu’à balayer les chemins. Il eut beau le remontrer, on le hua dans toute l’assemblée. – Ami, lui dit un vieux Renard, j’ignore ce qu’on pourrait gagner à se passer d’une queue ; mais ce que je sais certainement, c’est que tu ne m’en aurais jamais fait observer l’inutilité, si tu avais encore la tienne.

Du Vigneron et de ses Enfants

Un Vigneron se sentit proche de sa fin. Alors il appela ses Enfants : – Mes Enfants, leur dit-il, je ne veux point mourir sans vous révéler un secret que je vous ai tenu caché jusqu’à présent, pour certaines raisons. Apprenez que j’ai enfoui un trésor dans ma vigne : lorsque je ne serai plus, et que vous m’aurez rendu les derniers devoirs, ne manquez pas d’y fouiller, et vous le trouverez. – Le bon Homme mort, les Enfants coururent à la vigne, et retournèrent le champ de l’un à l’autre bout ; mais ils eurent beau fouiller et refouiller, ils n’y trouvèrent rien de ce que le Père leur avait fait espérer. Alors ils crurent qu’il les avait trompés ; mais ils reconnurent bientôt qu’il ne leur avait rien dit que de véritable. Le champ ainsi retourné devint si fécond, que la vigne leur rapporta, pendant plusieurs années, le triple de ce qu’elle avait accoutumé de produire.

De deux Chiens

Deux Chiens gardaient au logis. L’un, tout joyeux, dit à l’autre : – Frère, je viens d’apprendre que notre Maître se marie dans sa maison des champs. Or, tu sais qu’il n’est point de noces sans festin ; c’est pourquoi, si tu veux m’en croire, nous irons tous deux en prendre notre part, et la chère que nous y ferons, Dieu le sait ! – Cela dit, ils partent, et prennent si mal leur chemin, qu’ils s’engagent dans certains marécages, et ne s’en retirent que tout couverts de fange Dans cet état, ils arrivent au lieu de la noce. Ils comptaient sur un grand accueil de la part des conviés, mais fort mal à propos, dès qu’ils parurent, chacun s’écria contre leur malpropreté. À peine étaient-ils entrés dans la salle du festin, qu’on les en chassa, l’un à coups de pied, et l’autre à coups de bâton. Tout se passa de sorte que nos deux Chiens crottés s’en retournèrent fatigués, affamés et battus.

De la Mule

Une Mule grasse et rebondie, ne faisait que parler, dans sa jeunesse, de sa Mère la Jument ; mais elle changea de langage, lorsqu’elle se vit, dans sa vieillesse, réduite à porter la farine au moulin. Alors, elle se ressouvint de l’Âne, et confessa de bonne foi qu’il était son Père.

Du jeune Homme et de la Fortune

Un jeune Homme s’était couché sur le bord d’un puits : pendant qu’il y dormait, la Fortune passa. Celle-ci n’eut pas plutôt reconnu le danger où l’autre était, qu’elle courut à lui, et le tira par le bras. – Mon fils, lui dit-elle en l’éveillant, si vous étiez tombé dans ce puits, on n’aurait pas manqué de m’en imputer la faute. Cependant, je vous laisse à penser si c’eut été la mienne ou la vôtre.

Du jeune Homme et de l’Hirondelle

Une Hirondelle se hâta un peu trop de repasser les mers, et vint quelques jours avant l’arrivée du printemps revoir le pays d’où elle s’était retirée aux approches de l’hiver. Un jeune Homme la vit arriver dans un jour assez beau. – Bon, dit-il en lui-même, voici l’avant-courrière de la belle saison ; plus de froid, ainsi je puis me passer de cette robe, qui commence à me peser sur les épaules. – Cela dit, il courut la vendre, et dissipa par de folles dépenses l’argent qu’il en eut. Il ne tarda guère à s’en repentir ; car quelques jours après, le froid revint, et si rude, que le jeune Homme en fut saisi, faute de robe, et mourut, aussi bien que l’Hirondelle, dont l’augure lui avait été si funeste.

De l’Astrologue volé

Un Voleur entra dans la maison d’un Astrologue. Cependant celui-ci se donnait en pleine place pour un prophète des plus clairvoyants dans l’avenir. Comme il s’y vantait d’avoir acquis, par l’inspection des astres, la connaissance de tout ce qui devait arriver dans les siècles les plus reculés, un des assistants qui avait aperçu le Voleur, l’interrompit. – Et le moyen, lui ditil, de croire que tu sais l’avenir, quand je vois, à n’en pas douter, que tu ne sais pas même le présent ? Car enfin, mon ami, si tu le savais, tu courrais au plus vite chez toi en chasser le Voleur que je viens d’y voir entrer.

De Jupiter et des Besaces

Après que les Hommes eurent été formés, Jupiter s’aperçut qu’ils avaient des défauts si grands qu’ils ne pourraient eux-mêmes les souffrir, s’il ne leur en ôtait la connaissance. Il jugea donc à propos de les éloigner de leur vue ; et pour cet effet, il prit tous ces défauts, et en remplit plusieurs Besaces ; puis il les distribua, donna à chacun la sienne, et la lui mit sur le dos ; de telle manière que les défauts d’autrui pendaient dans la poche de devant, et ceux du porteur dans celle du derrière.

De la Poule trop grasse

Une Poule pondait tous les jours un œuf à son Maître. – Elle m’en pondra deux, disait celui-ci en lui-même, si je lui donne double nourriture. – Là-dessus le voilà qui lui jette et rejette du grain d’heure en heure, et en abondance. Mais qu’arriva-t-il ? La Poule, à force d’être bien nourrie, devint si grasse, que bientôt elle pondit moins, et enfin ne pondit plus.

De Jupiter et de la Tortue

Un jour Jupiter manda les Animaux. Il voulait pour se récréer, les voir tous ensemble, et en considérer la diversité. Ceux-ci obéirent, et accoururent à grande hâte. La Tortue seule se fit attendre, et si longtemps, qu’on crut qu’elle ne viendrait pas. Elle arriva pourtant, mais la dernière ; et sur ce qu’on s’en plaignait, elle voulut représenter qu’avant que de partir, il lui avait fallu transporter sa maison en lieu de sûreté ; ce qui lui avait fait, disait-elle, perdre beaucoup de temps. Mais l’excuse fut si peu goûtée, qu’on ne lui donna pas le temps de la faire valoir. À peine eut-elle commencé à parler de sa maison, que Jupiter, qui voulait être obéi, et sans délai, la lui mit sur le dos. De là vient qu’en punition de sa faute, elle la porte encore aujourd’hui.

De la Biche et de la Vigne

Deux Chasseurs poursuivaient une Biche : celle-ci se sauva dans une Vigne, et s’y cacha si bien sous le pampre, que les Chasseurs, qui l’avaient perdue de vue, rebroussèrent chemin. Cependant la Biche, qui se croyait hors de danger, rongeait les ceps qui la couvraient. Ce fut pour son malheur ; car dès qu’elle les eut dépouillés de leurs feuilles, elle parut tellement à découvert, que les Chasseurs l’aperçurent en se retirant. Alors ils retournèrent sur leurs pas, atteignirent la Biche, et la tuèrent.

Du Laboureur et du Renard

Un Laboureur ensemença ses terres, et tout y crût à merveille. Comme il était à la veille de couper ses grains : – Je l’empêcherai bien de serrer ta récolte, dit en lui-même un de ses voisins qui le haïssait. – Cela dit, il allume un flambeau, et l’attache à la queue d’un Renard qu’il avait pris dans un terrier aux environs de ses champs ; ensuite il le traîne près de celui de l’autre, le pousse vers un guéret tout couvert de bleds, et le lâche. Il pensait par ce moyen réduire ces bleds en cendre ; mais voici ce qui arriva. Le Renard au lieu d’aller en avant, rebroussa chemin pour retourner à son terrier ; et comme il ne pouvait le gagner sans passer sur le champ de celui qui cherchait à se venger, il se lança tout au travers des bleds de ce dernier, et y mit le feu. Ainsi tout le mal tomba sur le méchant laboureur qui vit tous ses grains consumés par son propre artifice.

Du Palefrenier et du Cheval

Un Seigneur eut besoin aux champs d’un Cheval qu’il avait laissé à la ville, et manda à son Palefrenier qu’il eût à le lui amener au lieu où il était. Celui-ci, l’ordre reçu, partit avec le Cheval. Comme ils passaient tous deux au travers du pré de leur Maître, l’Homme s’aperçut que l’autre baissait la tête et y broutait à la dérobée quelque peu d’herbe. – Larron, lui dit-il en le frappant rudement, ne sais-tu pas bien que cette herbe appartient à notre Maître, et que d’en prendre comme tu fais, c’est lui faire du tort. – Mais toi-même, repartit le Cheval, qui ne me donnes jamais que la moitié de l’avoine qu’il m’achète, ignores-tu que cette avoine lui appartient, et que d’en dérober l’autre moitié, comme c’est ta coutume, pendant que je maigris à vue d’oeil, faute de nourriture, c’est lui faire un tort bien plus considérable que celui que tu me reproches ? Cesse donc de me maltraiter. Si tu veux que je lui sois fidèle, commence par m’en donner le premier l’exemple.

De la Corneille et des Oiseaux

La Corneille fournit un jour ses ailes de plumes qu’elle avait ramassées dans divers nids d’Oiseaux, et vint en faire parade devant ces derniers. Ceux-ci furent d’abord charmés de la bigarrure de son plumage ; mais dès qu’ils l’eurent considérée de plus près, chacun s’aperçut de la ruse. Et les Oiseaux tout indignés tombèrent aussitôt sur elle, et lui arrachèrent à grands coups de bec, non seulement les plumes qui leur appartenaient, mais encore les siennes propres. La Corneille ainsi déplumée se trouva si hideuse, qu’elle courut se cacher, et n’osa plus se montrer, même devant les Corneilles.

Du Fermier et du Cygne

Un Fermier tenait un Cygne, et croyait tenir une Oie. Comme il allait lui couper la gorge, le Cygne chanta ; et l’Homme qui le reconnut à la voix, retira aussitôt le couteau. – Cygne, lui dit-il en le caressant, aux dieux ne plaise que j’ôte la vie à qui chante si bien.

De la Poule et du Chat

Une Poule avala par mégarde quelque insecte venimeux, et en tomba malade. Comme elle n’allait qu’en traînant l’aile, un Chat l’aborda : – Ma fille, lui dit-il d’un ton officieux, n’y auraitil pas moyen de vous soulager ? – Oui, repartit la Poule, il en est un des plus sûrs, et il ne tiendra qu’à toi de l’employer. – Et ce moyen, quel est-il, ma chère ? reprit le Chat. C’est, répondit l’autre, de vouloir bien te tirer à quartier, et le plus loin qu’il te sera possible.

D’un Chasseur et d’un Berger

Un chasseur allait et revenait d’un air empressé de çà, de là, tantôt dans la forêt, puis dans la plaine. – Que cherchezvous ? lui dit un Berger qui le voyait s’agiter. – Un Lion, répondit l’autre, qui m’a dévoré, ces jours passés, un de mes meilleurs Chiens. Que je le trouve, et je lui apprendrai à qui il se joue. – Suivez-moi, reprit le Berger, et je vous montrerai la caverne où il se retire. – Ami, lui repartit l’autre en changeant de couleur, outre qu’il est un peu tard, je me sens à présent trop fatigué pour pouvoir m’y rendre aujourd’hui ; mais compte que je reviendrai demain avant le point du jour te prier de m’y conduire. – Ce jour venu le Berger l’attendit et l’attend encore.

D’un Âne chargé d’éponges

Un Âne chargé de sel se plongea dans une rivière, et si avant que tout son sel se fondit. Quelques jours après, comme il repassait chargé d’éponges près du même gué, il courut s’y jeter, dans la pensée que le poids de sa charge y diminuerait comme il avait diminué la première fois ; mais le contraire arriva. L’eau emplit les éponges, et de telle sorte qu’elles s’enflèrent. Alors la charge devint si pesante, que le Baudet qui ne pouvait plus la soutenir, culbuta dans le fleuve, et s’y noya.

De l’Aigle percé d’une flèche

Un Aigle s’arracha quelques plumes et les laissa tomber à terre. Un chasseur les ramassa, ensuite il les ajusta au bout d’une flèche, et de cette même flèche perça l’Aigle. – Hélas ! disait l’Oiseau comme il était sur le point d’expirer, je mourrais avec moins de regret, si je n’avais été moi-même, par mon imprudence, la première cause de ma mort.

Du Milan

Le Milan eut autrefois la voix fort différente de celle qu’il a maintenant. Voici par quelle aventure ; d’agréable qu’elle était, elle devint par l’imprudence de cet Oiseau, très-déplaisante. Un jour il entendit un Cheval qui hennissait : alors il se mit en tête de hennir comme lui ; mais quelque peine qu’il se donnât pour y parvenir, il n’en put jamais venir à bout. Le mal fut qu’à force de vouloir contrefaire la voix du Cheval, il gâta la sienne, et s’enroua si fort, qu’il ne fit plus entendre qu’un cri rauque et effrayant.

D’une Femme

Une Femme avait un ivrogne pour Mari. Voulant le délivrer de ce vice, elle imagina la ruse que voici. Quand elle le vit alourdi par l’excès de la boisson et insensible comme un mort, elle le prit sur ses épaules, l’emporta et le déposa au cimetière, puis elle partit. Quand elle pensa qu’il avait repris ses sens, elle revint au cimetière et heurta à la porte. L’ivrogne dit : – Qui frappe ? – La Femme répondit : – C’est moi, celui qui porte à manger aux morts. – Et l’autre : – Ce n’est pas à manger, l’ami, mais à boire qu’il faut m’apporter. Tu me fais de la peine en me parlant de nourriture au lieu de boisson. – Et la Femme se frappant la poitrine : – Hélas, malheureuse, dit-elle, ma ruse n’a servi de rien. Car toi, mon Mari, non seulement tu n’en es pas amendé, mais tu es devenu pire encore, puisque ta maladie est tournée en habitude. – Cette fable montre qu’il ne faut pas s’attarder aux mauvaises actions, car même sans le vouloir, l’Homme est la proie de l’habitude.

Du Lion, du Sanglier et des Vautours

Le Lion et le Sanglier acharnés l’un sur l’autre s’entredéchiraient. Cependant des Vautours regardaient attentivement le combat, et se disaient les uns aux autres : – Camarades, à bien juger des choses, il n’y a ici qu’à gagner pour nous. Ces Animaux-ci ne quitteront point prise, que l’un des deux ne soit par terre. Ainsi, ou Lion, ou Sanglier, voici la proie qui ne peut nous manquer. – Ils n’y comptaient pas à tort ; car ils l’eurent en effet et même plus grosse qu’ils ne pensaient. Le Sanglier fut étranglé sur l’heure par le Lion, et celui-ci que l’autre avait percé d’un coup de ses défenses, mourut quelques jours après de sa blessure, de sorte que les Vautours profitèrent de l’un et de l’autre.

De l’Âne qui porte une Idole

Un Âne chargé d’une Idole passait au travers d’une foule d’Hommes ; et ceux-ci se prosternèrent à grande hâte devant l’effigie du dieu qu’ils adoraient. Cependant l’Âne, qui s’attribuait ces honneurs, marchait en se carrant, d’un pas grave, levait la tête et dressait ses oreilles tant qu’il pouvait. Quelqu’un s’en aperçut, et lui cria : – Maître Baudet, qui croyez ici mériter nos hommages, attendez qu’on vous ait déchargé de l’Idole que vous portez, et le bâton vous fera connaître si c’est vous ou lui que nous honorons.

Des Loups et des Brebis

Un jour les Loups dirent aux Brebis : – Amies, en vérité nous ne saurions concevoir comment vous pouvez supporter les mauvais traitements que vos Chiens vous font à chaque moment. De bonne foi, à quoi vous servent ces brutaux à la queue de votre troupeau ? À vous gêner continuellement, le plus souvent à vous mordre, et à vous faire mille violences. Croyez-nous, débarrassez-vous en, et sur l’heure, car enfin, que craignezvous ? n’êtes-vous pas assez fortes pour vous défendre seules contre quiconque voudrait vous nuire ! – Sur ses discours les Brebis se crurent en effet fort redoutables, et dans cette pensée, l’on courut aussitôt congédier les Chiens ; mais on ne tarda guère à s’en repentir. Les Loups n’eurent pas plutôt vu les Chiens éloignés qu’ils se jetèrent sur les Brebis, et les étranglèrent toutes.

P.-S.